Interview Christian Jost et Ravi Parekh

«Les besoins d’investissements dans les infrastructures n’ont jamais été aussi grands»

Entretien avec deux spécialistes des infrastructures de haut niveau: Ravi Parekh est directeur général de GCM Grosvenor qui gère 15 milliards de dollars d’engagements de capitaux dans les infrastructures. Christian Jost est Senior Investment Analyst chez Zurich Invest SA qui gère 2,2 milliards de dollars d’engagements de capitaux dans les infrastructures. Les deux experts nous parlent des tendances actuelles en matière d’infrastructure et des aspects positifs d’une mise en œuvre via des co-investissements.

Marchés et tendances

Parlons d’abord des marchés et des tendances. Il s’est passé beaucoup de choses au cours de ces deux dernières années. La guerre en Ukraine et le conflit au Proche-Orient, la hausse des taux d'intérêt, plusieurs nouveaux gouvernements sur des marchés d’infrastructures clés, notamment aux Etats-Unis. Qu’est-ce que tout cela signifie pour l’infrastructure?

Ravi Parekh: Nous observons un besoin croissant d’investissements privés dans les infrastructures publiques, car les finances publiques restent sous pression. 

Parallèlement, la transition énergétique continue de progresser sur les principaux marchés d’infrastructure. Cette progression ouvre des opportunités dans des domaines tels que les compteurs électriques intelligents, la mobilité électrique, le stockage sur batterie et la production d’électricité à partir de sources d’énergie renouvelables. La demande continue d’augmenter en raison des ambitions écologiques de certains gouvernements. A cela s’ajoute la recherche d’une indépendance énergétique vis-à-vis de l’étranger. Les énormes besoins en énergie de l’infrastructure numérique et du transport électrique y contribuent également.

Nous nous attendons en outre à une augmentation des investissements dans l’infrastructure numérique, sous l’impulsion des besoins croissants de connectivité et de réseau dans le monde entier.

Quels retours avez-vous de vos clients, compte tenu de la présence mondiale de GCM Grosvenor et de votre interaction avec les investisseurs du monde entier?

Ravi Parekh: Nous avons la chance de travailler avec certains des investisseurs institutionnels les plus importants et les plus exigeants au monde. Chaque investisseur a certes ses propres priorités, mais nous avons pu identifier quelques tendances régionales: les investisseurs asiatiques se concentrent sur le rendement des actifs locaux en raison de la forte dépréciation de la monnaie, tandis que les investisseurs européens continuent de miser sur la transition énergétique et l’éviction des combustibles fossiles. Les investisseurs nord-américains privilégient généralement des rendements plus élevés.

D'après nous, même si les priorités varient selon les régions et les types d’investisseurs, le besoin d’investir dans les infrastructures n’a jamais été aussi grand qu’aujourd’hui, sous l’effet de la mondialisation, de l’urbanisation et de la numérisation. Nous sommes ravis d’aider nos investisseurs à saisir ces opportunités.

Christian Jost, vous habitez en Suisse. Quels retours avez-vous des investisseurs suisses?

Christian Jost: La demande de placements dans les infrastructures n’a cessé d’augmenter au fil des ans. Certes, le taux de croissance s’est quelque peu ralenti ces deux dernières années en raison de l’effet dénominateur et de la hausse des taux d’intérêt. Mais la catégorie de placement a trouvé un nouvel élan avec la récente baisse des taux d’intérêt. C’est pourquoi les placements dans les infrastructures offrent à nouveau un potentiel de rendement intéressant, par exemple par rapport aux emprunts.

Par ailleurs, les revenus sont souvent garantis par des contrats à plus long terme, éventuellement indexés sur l’inflation. Ils peuvent ainsi offrir des rendements non corrélés, des cash-flow attractifs, une certaine protection contre l’inflation et, globalement, une plus grande stabilité pour un portefeuille multi-asset.

Vous avez parlé de stabilité. Existe-t-elle vraiment? 

Christian Jost: Les actifs du marché privé sont valorisés à une fréquence plus basse. Les investisseurs peuvent ainsi maintenir une faible volatilité dans leurs portefeuilles d’actifs, ce qui permet par exemple aux caisses de pension de mieux stabiliser leur taux de couverture. Il convient toutefois d’être prudent et de ne pas déduire d’une faible volatilité qu’elle est moins risquée. Il faut plutôt examiner de près une volatilité normalisée à long terme et, par conséquent, la stabilité et la résistance sous-jacentes réelles des actifs. Les placements dans les infrastructures présentent généralement un potentiel de stabilité élevé, mais ils doivent être structurés de manière judicieuse pour pouvoir exploiter ce potentiel. Nous avons maintenant une douzaine d’années d’expérience en matière de placements dans les infrastructures et nous n’avons pas connu que des marchés simples. En tant qu’analyste, ce sont surtout les phases de marché difficiles qui m’intéressent, comme en 2020 (crise liée à la pandémie de Covid-19) et en 2022 (hausse des taux d’intérêt, inflation). Nous avons constaté que nos portefeuilles offrent une grande stabilité et répondent à nos attentes jusqu’à aujourd’hui.

Risques et diversification

Quel est, selon vous, le risque le plus important en matière d’investissements dans les infrastructures?

Ravi Parekh: Les investissements dans les infrastructures sont attractifs parce qu’ils fournissent des services de base. Ils sont souvent associés à des rendements réglementés et contractuels qui assurent aux investisseurs un cash-flow relativement stable. Toutefois, ils ne sont pas sans risque. Les changements d’orientation politique peuvent entraîner des incertitudes au niveau des réglementations. Des investissements et un modèle d'affaires mal structurés peuvent rapidement conduire à des rendements insuffisants, comme l’a déjà mentionné Christian Jost.

Même les «core deals» ne sont pas à l’abri des risques, car ils présentent souvent une part élevée de capitaux externes. Et si les coûts d’exploitation et de financement ne correspondent pas aux recettes, soit en raison de l’absence d’indexation sur l’inflation, soit en raison d’un financement par des capitaux étrangers non fixé, les résultats peuvent être loin d'être parfaits. Si les gestionnaires d’actifs peuvent gérer les risques de structuration, les risques politiques sont quant à eux plus difficiles à anticiper. C’est pourquoi, comme dans toute stratégie de placement, la diversification est essentielle.

Qu’entendez-vous par diversification? Comment y parvenir dans le domaine des infrastructures et à quel niveau? 

Ravi Parekh: Chez GCM Grosvenor, nous pensons qu’une diversification intelligente, au niveau des régions, des secteurs, des profils de risque et même des années, est une condition préalable à une surperformance stable. Le secteur des infrastructures est une catégorie de placement très diversifiée, avec une multitude de modèles d'affaires et de profils risque/rendement. C’est pourquoi une répartition stratégique des investissements est indispensable. 

La diversification ne concerne pas seulement les placements dans lesquels on investit son argent, mais aussi la taille des transactions et le fait d’éviter les portefeuilles trop concentrés. En outre, la collaboration avec différents gestionnaires et équipes peut encore accroître la résistance et le succès à long terme.

C’est facile à dire, mais de nombreux gestionnaires de fonds primaires détiennent des portefeuilles concentrés et les fonds de fonds sont chers. Christian Jost, comment abordez-vous ce défi en tant qu’investisseur?

Christian Jost: Oui, c’est exactement le défi que nous avons observé avant d’investir dans le secteur des infrastructures. Nous étions déjà investis dans des placements réguliers en private equity, qui présentent un profil risque-rendement légèrement plus élevé. En investissant dans les infrastructures, nous voulions atteindre une plus grande stabilité, et la diversification est l’un des facteurs décisifs pour atteindre cet objectif. Les objectifs de rendement de 8 à 10 pour cent nets en dollars américains sont également inférieurs aux objectifs de rendement habituels dans le domaine du private equity. C’est pourquoi l’efficacité des coûts revêt également une grande importance.

Nous avons opté pour une approche de co-investissement (voir encadré) qui permet de constituer un portefeuille flexible et optimisé et d’atteindre une solide diversification de gestion. En outre, étant donné que de nombreux co-investissements n’impliquent ni commission de gestion ni carry, les doubles niveaux de frais qui s’appliqueraient aux fonds de fonds sont souvent supprimés.

Co-investissements

Quels sont les principaux avantages et inconvénients des co-investissements?

Ravi Parekh: Pour nous, les co-investissements offrent un accès «privilégié» aux placements dans les infrastructures. Cet accès privilégié résulte de plusieurs avantages clés: (i) un accès à une gestion de premier ordre dans le secteur des infrastructures, (ii) une vue d’ensemble du marché permettant de comparer les profils risque-rendement dans différents sous-secteurs et régions, (iii) plusieurs niveaux de souscription, (iv) des frais supplémentaires minimes, voire nuls.

L’un des principaux défis liés aux co-investissements est de mettre en place une équipe solide de souscripteurs qualifiés, avec une large couverture du marché, afin de pouvoir exploiter efficacement ces opportunités. En outre, étant donné que les co-investissements impliquent généralement une participation minoritaire, il est essentiel de se coordonner étroitement avec le lead management afin de garantir des conditions favorables et une transaction bien structurée.

Sélection du gestionnaire

Chez Zurich Invest, vous appliquez une approche best-in-class pour trouver le meilleur gestionnaire d’actifs externe pour les véhicules concernés. A quoi faut-il faire attention lors du choix d’un gestionnaire?

Christian Jost: Un deal flow solide est essentiel pour une approche de co-investissement. Le gestionnaire d’actifs doit avoir un bon accès aux transactions les plus attractives et être de taille raisonnable afin de pouvoir s’engager dans les transactions à des coûts raisonnables, voire nuls. Il faut aussi vérifier si le type de transactions dans le deal flow correspond vraiment à son propre ADN. En outre, il convient de vérifier la politique d’allocation d’actifs et de voir si l’on obtient réellement une participation proportionnelle à tous les co-investissements dans le pipeline lorsqu’on n’est que co-investisseur. Ce n’est pas toujours le cas. Enfin, et surtout, il est essentiel de disposer d’une équipe diversifiée et expérimentée pour analyser réellement toutes les transactions de manière indépendante et ne sélectionner que les meilleures opportunités.

A quoi les investisseurs doivent-ils encore faire attention avant d’investir dans le secteur des infrastructures?

Christian Jost: En plus des aspects diversification et coûts mentionnés, une bonne gouvernance ainsi qu’une surveillance et un contrôle des placements sont très importants pour les caisses de pension. En outre, la structure du véhicule devrait être bien analysée, notamment en termes d’efficacité fiscale et de sécurité. Par ailleurs, chaque investisseur doit déterminer si une solution dite fermée ou ouverte est plus optimale pour lui. Les deux options ont leurs avantages et leurs inconvénients (voir article (en allemand)).

 
Ravi Parekh
Directeur général de GCM Grosvenor
Christian Jost
Senior Investment Analyst de Zurich Invest SA
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